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Le sport, nouveau reflet de la culture de la performance au bureau

Par Flavien Chantrel • Publié le • Modifié le

INTERVIEW - Thibaut Bardon et François-Régis Puyou ont enquêté sur les dirigeants adeptes des marathons, trail et Iron man. Pour ces sportifs de l'extrême, leur loisir aurait une importance capitale dans leur manière de manager, accordant une importance forte au dépassement de soi. "En cela, ils incarnent les excès du capitalisme", explique Thibaut Bardon.

Le sport, nouveau reflet de la culture de la performance au bureau

En 2014, une étude publiée par le Social Science Research Network, CEO fitness and firm value, expliquait que les marathoniens ayant de hautes responsabilités professionnelles font de meilleurs dirigeants. Selon les chercheurs, sur 1 500 entreprises passées au crible, celles pilotées par des marathoniens avaient des profits supérieurs de 5 % en moyenne. Mais quels liens font-ils entre leurs pratiques sportives et le management ? C'est la question à laquelle ont voulu répondre Thibaut Bardon, professeur à Audencia, et François-Regis Puyou de la St Andrews University. Leur but : comprendre la place du sport dans le quotidien de managers qui pratiquent des sports de fond de haut niveau. Interview de Thibaut Bardon.

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Quels sont les dirigeants que vous avez interrogés pour votre étude ?

Nous avons interrogé 33 directeurs exécutifs et entrepreneurs qui managent de 15 à plusieurs centaines d'employés. Ce sont des personnes qui ont de grosses responsabilités professionnelles, travaillent de 10 à 12 heures par jour et qui s'entraînent jusqu’à 20 heures par semaine pour aller au bout de leur entraînement. Des cas extrêmes puisqu'ils pratiquent des marathons, des Iron man (triathlons sur de très longues distances) ou des ultra-trails (courses à pieds sur de longues très distances en milieu naturel). Tous devaient avoir participé à au moins une de ces courses par an durant deux années consécutives.

En interrogeant ces dirigeants, nous voulions comprendre quelles étaient les motivations de ces sportifs et comment ils utilisent leurs exploits dans leurs pratiques professionnelles.

Quels liens avez-vous trouvé entre leur pratique sportive et leur pratique managériale ?

L'étude a permis d'établir cinq liens entre le sport de haut niveau et le travail. Le premier, c'est de se servir du sport comme un outil de management. En interne, le sport est mis au service du management, on s'en sert pour faire avancer les équipes sur des situations de travail. Les dirigeants vont également encourager les pratiques sportives de leurs salariés en sponsorisant des événements. Pour ces dirigeants, le sport est très clairement perçu comme un vecteur de productivité. C'est un deuxième lien : ces managers exécutifs n'hésitent pas à dire qu' ils embaucheront plus volontiers un sportif qu'une autre personne. C'est un biais de projection, ils estiment que ces personnes ont des qualités supérieures utiles en entreprise : dépassement de soi, rigueur, etc.

Le sport est aussi utile à leur propre réussite professionnelle. Ils se disent plus détendus, plus créatifs et plus endurants. Autre lien : utiliser le sport comme une soupape de décompression mais aussi pour tenir le coup, sur la distance... Nous avons rencontré des dirigeants qui ont d'ailleurs intensifié leurs pratiques sportives ou qui s'y sont mis après avoir atteint de hautes fonctions. Pour certains, sans le sport, ils ne pourraient pas assumer sur le long terme leur responsabilités professionnelles.

Enfin, la course à pieds leur permet de se distinguer. Cela participe même à créer une certaine mythologie du dirigeant chez leurs salariés : alors que le dirigeant travaille déjà beaucoup, il trouve en plus le temps de s'entraîner et de participer à des courses de l'extrême.

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Comment expliquer cette importance attribuée au sport ?

Les liens entre sport et productivité ont déjà été vérifiés, on peut donc comprendre l'intérêt pour ces dirigeants de s'y adonner. Mais le sport est aussi de manière générale particulièrement valorisé dans nos sociétés du loisir et du confort. Il permet de pallier les problèmes liés à la sédentarité et, d'une certaine manière, l’effort physique permet de réveiller certains affects qu’on ressent moins dans nos sociétés modernes hyper-sédentarisée. Et il faut ajouter qu'avoir une bonne hygiène de vie est jugé très positivement dans nos sociétés. C'est devenu un impératif moral et même une forme de distinction car cela est interprété comme synonyme de forte maîtrise de soi : être en surpoids est souvent vu très négativement, comme le résultat d’un manque de volonté. Les normes ont bien changé : jusqu'à peu, il paraissait inconcevable de ne pas boire du vin lors des repas d’affaires, c'est l'inverse aujourd'hui.

Ce rapport au corps n'est-il pas pervers dans le monde de l'entreprise ?

Certainement, si. Déjà, on l'a dit, sur les recrutements. Certains dirigeants évoquaient aussi des collaborateurs non sportifs comme des "tas de nouilles". Ils survalorisent les corps secs, qu'ils disent "affûtés", et mélangent le vocabulaire technique de la course à pieds avec celui du management : taper le mur, se mettre dans le rouge. Ils se reconnaissent entre eux au physique mais aussi à leurs accessoires comme les montres techniques. La métrique est très importante chez eux. Si certains admettent qu'ils prêtent peut-être trop attention aux comportements sportifs de leurs employés, dans leur grande majorité ils manquent de réflexivité. Le dépassement de soi est très important pour eux et ils attendent la même chose de leurs collaborateurs. En cela, ils incarnent les excès du capitalisme. Mais on peut craindre, pour eux et leurs collaborateurs, un risque d'essoufflement et d'usure.

Le chercheur Thibault le Texier parle de "rationalité managériale" qui aurait envahi nos vies...

Oui, il y a tout un discours né dans les années 1980 qui veut qu'on soit entrepreneur de soi-même. Ce sont les gourous et coachs professionnels qui nous vendent des méthodes de développement personnel pour devenir de meilleures personnes. Et d'expliquer qu'en se dépassant et en se prenant en main il est possible d'être heureux, plus productif, meilleur père, meilleur salarié, etc. Ils ont totalement intégré cette logique managériale et l’appliquent à tous les aspects de la vie.

> Comment les méthodes de management ont envahi nos vies 

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